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Attac Québec

Chronique de Attac-Québec

par Claude Vaillancourt

Deux significations du mot “urgence”

Publié le 30 avril 2020


Il est étonnant de voir la fermeté avec laquelle ont été prises les diverses mesures d’urgence sanitaire. En l’espace de quelques jours, le Québec s’est complètement transformé.

Toutes ces mesures donnent son sens au mot “urgence”. Qui aurait pu dire, la veille du 12 mars, journée de la première intervention publique de François Legault sur le coronavirus, que le Québec en entier serait “sur pause” quelques jours plus tard ? Et que, malgré les sacrifices qui en découlent, ces mesures obtiendraient un appui massif de la population ?

Tout cela alors que les effets négatifs du grand confinement se font durement sentir : emplois perdus, entreprises en grandes difficultés financières, valeurs boursières qui s’écroulent, incapacité de payer tant des individus que des entreprises. Et ce n’est qu’un début. Ce qui oblige les États à faire ce qu’on leur interdisait depuis des années : réinvestir massivement dans l’économie, se lancer dans un grand plan keynésien de compensation auprès des individus et des entreprises. Un autre New Deal qui pourrait vaguement ressembler à celui mis en place aux États-Unis pendant la Grande Dépression.

Plusieurs l’ont mentionné : si les États parviennent à si bien agir devant la COVID-19 (malgré quelques failles importantes, bien sûr), pourquoi restent-ils à ce point paralysés devant les changements climatiques ?

La question reste d’autant plus pertinente que chez nous, les différents niveaux de gouvernements, qu’ils soient fédéral, provincial ou municipal, ont bel et bien adopté le terme “urgence climatique”. Il aurait dû normalement en résulter quelques mesures rapides. Pourquoi le terme “urgence”, sans ambigüité pourtant, est-il interprété de façon si différente ?

Danger immédiat

De nombreux experts ont essayé d’expliquer l’incapacité d’agir dans le cas des changements climatiques. Le journaliste scientifique Sébastien Bohler, entre autres, y accuse, dans Le bug humain, le fonctionnement de notre cerveau trop accro à la dopamine (ou au plaisir immédiat). Dans Le syndrome de l’autruche, le sociologue George Marshall blâme quant à lui un système cognitif défaillant. Le philosophe Clive Hamilton accuse plutôt, dans Requiem pour l’espèce humaine, la désinformation financée par les grandes entreprises.

L’immédiateté du danger de la pandémie s’oppose bien sûr à la relative intangibilité des changements climatiques. Des statistiques sur le nombre de morts sont un motif puissant à agir : elles s’imposent dans le cas de la COVID-19 et s’entendent à tous les jours ; elles restent vagues, très difficiles à prévoir avec précision dans le cas des changements climatiques, même si les conséquences pourraient être pires encore.

Les deux causes, celle de la COVID-19 et des changements climatiques, s’inscrivent dans des temporalités différentes : des semaines, voire des jours dans le cas de la pandémie ; un horizon d’une dizaine d’années dans le cas du climat, afin de réduire au maximum le recours aux énergies fossiles. Ce qui laisse amplement le temps aux industries polluantes de recourir à un lobbyisme intensif auprès des gouvernements et à la désinformation à haute échelle — une grande capacité de nuisance qui laisse des marques profondes.

Autre raison : des dizaines d’années d’apprentissage en économie, de foi envers le libre-marché, l’enseignement unique des théories néoclassiques, une incapacité de s’adapter à une réalité qui ne correspond pas aux enseignements.

Combattre les vieux réflexes

Tous ces principes ont été brutalement abandonnés depuis le début de la présente crise, parce qu’ils ne valent plus rien devant la nécessité de sauver des vies. Pour cette rare occasion, cela devient tout à coup une évidence. Mais les vieux réflexes demeurent menaçants. Plusieurs l’ont dit, dont Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, “la combinaison d’une maladie menaçante pour tout le monde conduisant à une récession sans précédent dans un passé récent” peut nous mener à une crise mondiale d’une immense ampleur.

La tentation sera grande, pour contrer la récession de laisser de côté toute notion d’urgence climatique afin de reprendre de vieilles recettes inefficaces : baisses d’impôts pour relancer la consommation, suivies de mesures d’austérité pour compenser aux pertes de revenus, laissant ainsi à l’abandon services publics et préoccupations environnementales. Une nouvelle régression qui laissera des marques profondes.

Mettre en branle de véritables mesures découlant de l’urgence énergétique n’aurait en rien l’effet négatif de celles mises en place pour contrer la pandémie. L’occasion sera bonne pour relancer l’économie sur d’autres bases, moins profitables pour le grand capital, mais essentielles pour le bien-être de l’immense majorité de la population. La transition écologique, l’élimination des énergies fossiles, la justice fiscale ne sont pas des sacrifices à accomplir, mais une autre façon d’aiguillonner l’économie et de la relancer sur de bien meilleures bases.

Le terme “urgence” est trop nécessaire pour qu’il soit vidé de sa substance comme on a osé le faire dans le cas de l’environnement. La crise sanitaire a au moins l’avantage de rappeler toute la force de ce mot.


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