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IRIS

Chronique de l‘Institut de recherche et d'informations socio-économiques

 

Prendre les choses en main en attendant une nouvelle économie

Publié le 10 mars 2017


La fondation du syndicat du Frites Alors ! sur la rue Rachel à Montréal suscite à l’occasion de vives réactions. Je trouve la suivante troublante : “elles et ils ont juste à se trouver un autre emploi si elles et ils ne sont pas contents”. Je réponds habituellement qu’il faut repenser notre économie.

Dans une société plutôt riche comme la nôtre, on ne peut se permettre d’être complaisant à l’égard du fait que 733 700 salarié·e·s occupent des emplois à bas salaire qui ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins, ce qu’on appelle des salaires non viables. Si l’État ne s’occupe pas de la question, il est tout à fait légitime que les travailleurs et travailleuses prennent les choses en main.

On réplique typiquement à mon objection qu’il est dommage que certaines personnes travaillent dans ces conditions, mais que l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail repose sur l’existence d’un certain nombre d’emplois à bas salaire qui permettent à la main-d’oeuvre non qualifiée d’une région donnée d’avoir accès à des emplois.

On en vient donc à parler de mécanismes de fixation du salaire. Notons tout d’abord que l’argument présenté ci-dessus ne tient pas la route parce que 44 % des personnes qui reçoivent un bas salaire sont surqualifiées. Par ailleurs, il omet un paramètre important dans la détermination des salaires : la capacité et la volonté des salarié·e·s de s’organiser. C’est comme si les seuls paramètres qui comptent dans le marché du travail sont l’offre et la demande.

Mettre de côté des paramètres majeurs dans un raisonnement n’éclaire jamais une situation. Je donne toujours l’exemple suivant : la scène dans The Empire Strikes Back, l’épisode 5 de la série de films Star Wars, dans laquelle Han Solo s’apprête à plonger son vaisseau spatial dans une ceinture d’astéroïdes pour échapper aux chasseurs de l’Empire qui poursuivent ses passagers et lui. C3P0, son passager, lui dit que les probabilités de survivre une poursuite dans une ceinture d’astéroïdes sont de 3 720 contre 1. À cela, Han Solo répond qu’il ne faut jamais lui parler de probabilités et il plonge le vaisseau dans la ceinture d’astéroïdes. Et, bien sûr, il réussit à s’échapper des vaisseaux impériaux. Est-ce que Han Solo a été le 1 sur 3 720 ? Est-ce qu’il a été le 0,026 % de chance de réussite ? Non. Le calcul de C3P0 était erroné simplement parce qu’il n’a pas considéré un paramètre majeur : le fait que Han Solo soit le meilleur pilote de la galaxie.

Si on jette un coup d’oeil au tableau ci-dessous, on constate que le pourcentage de travailleurs et travailleuses qui reçoivent un salaire sous la barre des 15 $ l’heure est nettement plus bas chez celles et ceux qui sont syndiqués.

Tableau

Moins de bas salarié.e.s chez les travailleuses et travailleurs syndiqué.e.s donc, ce qui est logique, puisque les travailleurs et travailleuses qui ont une capacité collective de négocier leur salaire et leurs conditions de travail ont tendance à avoir une plus grande part la richesse produite par leur travail et à refuser de travailler pour des salaires non viables.

Certains feront remarquer que, même sans salaire minimum, le taux de personnes à bas salaire est plus bas en Suède, où il se situe à 7 % (ce qui est effectivement plus bas que chez nous). Cependant, il faut noter que le taux de syndicalisation y frôle les 70 %, ce qui est presque deux fois plus que celui du Québec, qui tourne autour de 36 %. L’absence de salaire minimum semble donc contrebalancée par la présence beaucoup plus étendue du mouvement syndical.

L’IRIS a déjà démontré que les gains de productivité au Québec n’ont pas tendance à profiter aux travailleurs et travailleuses. Depuis ces dernières décennies, la croissance de la création de la richesse ne se reflète pas dans la croissance des salaires des travailleuses et travailleurs. On a aussi démontré que bon nombre d’emplois ne permettent pas l’inclusion sociale. Si l’État trouve acceptable de laisser libre cours à une économie qui se développe sur le dos de travailleurs et surtout de travailleuses pauvres, il est légitime que celles-ci et ceux-ci s’organisent pour améliorer leur sort. Si ce n’est pas au travers du syndicalisme, ils et elles peuvent le faire par le biais de mouvements spontanés comme les grèves dans les fast foods aux États-Unis en 2012.

Pour remédier dans l’immédiat à leur situation, les salarié·e·s de chez Frites Alors ! font quelque chose de tout à fait naturel et humain : ils et elles s’organisent pour de meilleures conditions. Sur le long terme, il faudra toutefois remettre en question les fondements mêmes de notre économie puisqu’ils supposent que la présence de travailleurs et travailleuses pauvres est un dommage collatéral inévitable de l’équilibre du marché du travail.

Laissées à elles-mêmes, les forces du marché n’assureront jamais aux travailleurs et travailleuses une part équitable des gains de productivité, et ce, peu importe la vigueur et la croissance de l’économie. Les entreprises ont tendance à offrir un salaire juste assez élevé pour que le personnel soit assez discipliné pour les faire rouler. En ce sens, si le pouvoir politique refuse de remettre en question la nécessité de garder en place un nombre conséquent de salaires non viables, ce sera aux travailleurs et travailleuses de le faire.

Bref, la capacité des personnes à s’organiser collectivement en vue d’améliorer leur sort est un paramètre majeur qu’on ne doit jamais écarter : il peut avoir un impact important sur la refondation et la réorganisation de notre économie.

Par Minh Nguyen


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