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Chronique de l‘Institut de recherche et d'informations socio-économiques

 

L’argent virtuel, vive le progrès ?

Publié le 1 avril 2016


Quand j’étais jeune, mes parents me donnaient 5 $ cash chaque semaine. Cash ! Pas un chèque, pas un virement bancaire, pas une promesse de m’acheter quelque chose à 5 $ plus tard. Un rectangle de papier bleu, avec un bonhomme d’un côté et un geai bleu de l’autre. Une autre raison de (bientôt ?) me sentir vieille.

En effet, l’idée d’abolir la représentation physique de l’argent circule de plus en plus. Vos portefeuilles n’en seront que plus minces, et vos transactions, plus traçables. Mais est-ce vraiment juste ça que ça changerait ?

Commençons par le début. La virtualisation de l’argent n’est pas quelque chose de nouveau. On ne parle pas de “créer” un nouveau système, mais plutôt de pousser à bout une transition qui existe déjà : on effectue de plus en plus de transactions avec une carte de plastique. La Suède et le Danemark sont d’ailleurs déjà en train d’explorer concrètement l’idée. Mais avant de mettre votre tirelire à la poubelle, peut-être vaudrait-il la peine de prendre un pas de recul pour se demander ce que ça veut dire, concrètement.

D’abord, le côté pratique. Si nos achats passent souvent par Internet, sur notre carte débit ou de crédit, il reste quelques moments où on est encore content d’avoir quelques sous et billets dans ses poches. Il y a toutes ces fois où on décide de mettre en commun de petits montants pour acheter quelque chose en groupe, que ce soit un repas, une caisse de bière ou un cadeau pour un·e ami·e. Est-ce que ce sera à coup de frais de transaction de 2 % ? Qu’en sera-t-il des vestiaires dans les salles de spectacles, des covers dans les discothèques ? Faudra-t-il demander les informations bancaires de sa gardienne du vendredi soir ?

Mais surtout, pensons aux personnes à qui on donne de l’argent sur la rue, qu’ils soient amuseurs publics, quêteurs ou vendeurs itinérants. Ce sont généralement des transactions qui sont rapides, et consistent en de petits montants. Faudra-t-il que tout le monde soit muni d’une machine pour recevoir les paiements ? S’il faut entrer son NIP pour payer, est-ce que ce sera encore un modèle qui pourra être rentable pour ceux et celles qui le pratiquent ? Ces personnes qui comptent souvent sur cet argent pour survivre, que feront-elles ? Est-ce que les personnes marginalisées auront une place dans ce nouveau système bancaire ? Sera-t-il en effet nécessaire d’avoir un compte de banque pour simplement exister ? Et les personnes âgées, traditionnellement moins portées sur les nouveaux gadgets, sauront-elles s’adapter ?

On nous répondra peut-être que la technologie va évoluer pour répondre à ces cas spécifiques. Peut-être. Mais qui dit technologie dit également infrastructure. Si tout se passera dans le futur avec un téléphone, par exemple, il faudra que tout le monde possède un téléphone. Et qu’arrivera-t-il si on manque de pile quand vient le temps de payer ? Existera-t-il des moyens “de secours” pour qu’on puisse continuer à faire des échanges commerciaux même en cas de panne ou de bris d’équipement ? Quel genre de ressources sera nécessaire pour pouvoir soutenir tout ça ? Et… à qui ça appartiendra ?

En effet, il n’est pas surprenant de voir que les banques trouvent que la virtualisation de l’argent est une bonne idée. Elles ont beau dire que l’impact positif sur leurs états financiers serait négligeable, il n’en demeure pas moins que, à l’heure actuelle, chaque transaction plastique engendre des frais qui leurs sont payés. Si on ne peut plus combiner plusieurs transactions en un seul retrait, alors ce sera encore plus d’argent pour elles. Rappelons également que les banques font une part non-négligeable de leurs profits à travers les mécanismes d’endettement. Payer comptant est souvent une manière de prendre la mesure de ses achats, une réalité que les personnes à faible revenu (ou qui ont de la misère à suivre un budget) connaissent très bien. La virtualisation complète de l’argent pourrait avoir un effet incitatif aux dépenses frivoles et, par extension, à l’augmentation de notre taux d’endettement. Si celui-ci est en constante hausse au Québec et au Canada depuis les années 1990, il n’en demeure pas moins que le rythme a ralenti dans les dernières années. Est-ce cela que les banques cherchent à corriger ?

Elles prétendent plutôt que c’est pour s’attaquer à l’évasion fiscale. De manière (peut-être) surprenante, elles ne semblent pas reconnaître que les paradis fiscaux puissent être un réel problème. Le travail au noir par contre… La virtualisation de l’argent rendrait chaque transaction “officielle”. Exit les vendeurs de drogues, les chantiers de construction illégaux et les personnes sur l’assistance sociale qui tondent votre gazon pour 30 $. Outre le fait qu’on essaie de mettre un pansement sur un problème plus large (la drogue ne disparaîtra pas, les chantiers de construction ne deviendront pas plus sécuritaires, la pauvreté ne sera pas éradiquée), cela pose la question de la vie privée. Qui gèrera ces données ? Devrons-nous automatiquement transférer nos relevés bancaires au gouvernement ? Quel genre de justification exigera-t-on de nous pour les sommes que nous recevrons ou débourserons ? Et puis, ne nous le cachons pas, la virtualisation de l’argent est plutôt un facilitateur quand il est question d’évasion fiscale à grande échelle. Suffit de quelques secondes pour qu’un montant frauduleux fasse le tour du monde en passant une ou deux fois dans un pays où le secret bancaire a encore cours.

Est-ce que l’argent liquide est sur le point de disparaître ? J’en doute. Mais est-ce que nous assistons à une transition vers une plus grande virtualisation de nos avoirs, réels ou en crédit ? Sans doute. Cependant, avant qu’on arrive à périmer les 5 $, il serait sain que l’on réfléchisse collectivement un peu plus loin qu’à la possibilité d’avoir l’ensemble de son compte en banque toujours au fond de ses poches.

Par Ève-Lyne Couturier


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